En France, la formation se porte mal, parce que l’on préfère réparer plutôt que prévenir, subir ou subventionner plutôt qu’anticiper et préparer l’avenir. Courtermisme et matérialisme sont de la partie, mauvais conseilleurs.
Confronté au mur de la dette et à l’impérieuse nécessité d'économiser, le gouvernement n’a de cesse que de restreindre et de complexifier l’usage du CPF par les travailleurs, allant même, depuis 2024, jusqu’à introduire une sorte de « ticket modérateur » d’un montant de 103 € en 2025 ! Problème : aucun des dispositifs de formation n’a jamais été réellement financé depuis les premières crises économiques des années 1970 ; aujourd’hui, personne ne veut ni ne peut payer pour la reconversion des millions de travailleurs illettrés ou disqualifiés par l’IA, la robotisation ou la globalisation.
Les Français ne financent guère leur éducation
Nos compatriotes acceptent naturellement, dans la limite de leurs moyens, de payer leurs achats de biens matériels (voiture, maison, vêtements, alimentation, etc.), mais, plutôt que d’acheter des programmes de formation, ils préfèrent thésauriser sur des livrets d’épargne : investir dans leurs compétences n’irait pas de soi ?
Le résultat d’une longue habitude : depuis 150 ans, l’éducation est gratuite et obligatoire parce que, pour Victor Hugo : « Ouvrir une école, c'est fermer une prison ». Si la France d’après-guerre a fait de l’éducation l’une de ses priorités en y consacrant des moyens considérables pour accueillir et instruire les enfants (premier poste de budget de l’État, un million d’enseignants, obligation scolaire jusqu’à 16 ans, baccalauréat puis désormais enseignement supérieur pour tous), il n’en va pas de même pour la formation tout au long de la vie.
Tous les œufs (éducatifs) dans le même panier
Dans un monde professionnel en complet bouleversement (numérisation, IA, désindustrialisation, enjeux environnementaux…), les entreprises françaises doivent se contenter de 6 milliards d’euros pour : former leurs salariés en poste, assurer une remise à niveau générale, former des jeunes et des apprentis remplaçant les boomers tout en assurant des reconversions lors des PSE… Mission impossible, car le compte est très loin d’y être.
Dépenser sans compter dans l’éducation initiale, réduire la formation professionnelle à la portion congrue : ça ne fonctionne plus !
Le DIF en 2004, puis le CPF en 2015-2019, n’auront jamais obtenu les moyens requis par leurs (supposées) ambitions. Institué en 2015, monétisé en 2019, le Compte Personnel de Formation (CPF) repose sur des contributions des entreprises. Les entreprises de moins de 11 salariés n’y sont pas assujetties (elles réservent seulement 0,55 % pour l’ensemble de leurs formations) ; pour celles de plus de 11 salariés, le CPF correspond à peine à 0,2 % de leur masse salariale (sur un total de 1 % pour la formation). Un taux notoirement insuffisant pour couvrir les besoins de formation des actifs (on ne peut évidemment pas créer 500 € de droits annuels au CPF avec une cotisation de 35 € en moyenne et par an…).
Des lacunes qu’on ne peut ignorer
Passons en revue quelques facteurs qui expliquent ces lacunes de financement.
Le coût inflationniste des formations : Le coût des formations éligibles au CPF varie considérablement, certaines pouvant atteindre plusieurs milliers d'euros. Le CPF ayant promu la formation totalement individuelle (très rarement en intra-établissement), comment les coûts horaires ne déraperaient-ils pas ?
Une éducation nationale dispendieuse : Notamment le secondaire généralisé et le supérieur étouffé sous le nombre. L’EN truste toujours 95 % des budgets éducatifs ; un « lycéen pro » coûte plus de 12 000 €/an quand un ouvrier non qualifié dispose de 300 € pour être formé.
Des entreprises désinvesties : Vous voulez développer vos compétences ? Réponse : « Voyez avec la CDC pour mobiliser votre CPF » !
Le nombre des actifs concernés en progression : La France compte environ 30 millions d'actifs dont 10 millions seulement sont couverts par la cotisation de 0,2 %. Sont exclus 6 millions de fonctionnaires, 6 millions de chômeurs et 10 millions de salariés des TPE qui ne cotisent pas au CPF.
Diversité et évolution accélérée des besoins en formation : Les besoins en formation varient selon les secteurs et les individus. Certains métiers requièrent des formations coûteuses ou innovantes, rendant la contribution uniforme de 0,2 % inadaptée pour répondre efficacement à ces exigences.
Des moyens financiers plus importants et assis sur une double cotisation Employeur ET Employé
Pour libérer et développer la formation, la solution est simple, nécessitant du courage politique mais aussi des capacités de négociations et d’innovations sociales. En effet, les taux de contribution formation devraient être relevés et l’employeur responsabilisé sur le développement des compétences de ses salariés via, d'une part, la mise en œuvre d’une double cotisation Employeur ET salarié et, d'autre part, l’implication et la responsabilisation de l’employeur (comme c'était le cas du temps du DIF) en obligeant à former et à accompagner ses salariés tous les deux ans (et non tous les 6 ans) sur des durées inversement proportionnelles à leurs niveaux de qualification ou d’éducation. A l’heure où la Cour des Comptes nous apprend que l’ancien PIC (Plan Investissement sur les Compétences), doté en 2017 de 15 milliards d’€, n’avait pas donné de résultats probants, il est temps de reformuler notre formation pour qu’un rééquilibrage vers les travailleurs du privé soit opéré.
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